TD1
Eclaircissements terminologiques
Il est impératif, avant d’entamer ce semestre, de définir les notions qui fondent les cours, à savoir la francophonie, la culture et la civilisation.
Alors que la francophonie, d’un point de vue linguistique, vivait déjà depuis longtemps, aucun mot n’existait pour la désigner. C’est un géographe français, peu connu, Onésime RECLUS, qui, en 1880, dans un livre sur la « France, l’Algérie et les colonies », classe les habitants de la planète en fonction de la langue qu’ils parlent et invente le terme de « francophonie » pour désigner l’ensemble des populations qui parlent le français. Pour lui, la francophonie est aussi le symbole de la solidarité avec les peuples qui parlent français, celui du partage de la culture et de l’échange.
Le terme « francophonie » ne survivra pas à son auteur : d’autres mots lui font concurrence : francité, francitude, communauté francophone, etc. Le terme francité l’emporte pendant quelques années. Le terme « francophonie » renaît dans les années 1960, en même temps que se développe le processus de décolonisation. C’est en novembre 1962, dans la revue « Esprit » », qu’il réapparaît. Dans un numéro spécial consacré à la place du français dans le monde, la revue rassemblait des contributions d’un grand nombre d’écrivains ou intellectuels, de toutes nationalités : Camille BOURNIQUEL, P.H. SIMON, Jean PELLERIN, Jean Marc LEGER, etc. Il est vite repris et popularisé par les prises de position de certains hommes politiques, francophones et francophiles, mais non français : Léopold SENGHOR (président du Sénégal et secrétaire général de l’OIF) qui écrit : « la francophonie, c’est cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. » La francophonie est à l’origine une idée promue par les pères fondateurs. : Hamani DIORI (président du Niger), Habib BOURGUIBA (président de la Tunisie), Norodom SIHANOUK (chef d’état du Cambodge), etc. Mais, en même temps, il prend une connotation idéologique puisqu’il semble manifester le désir d’une Afrique modérée de recueillir l’héritage de la colonisation. Ceci entraîne son rejet par l’« Afrique militante » qui y voit l’instrument d’un néo-colonialisme.
Par ailleurs, à commencer par le Québec, le mot de francophonie rencontre les aspirations à l’autonomie et à l’indépendance. Cependant, l’apparition progressive, en Afrique en particulier, d’une conscience francophone traduit la recherche d’un nouveau type de rapports entre les peuples.
Francophonie : connoterait la dimension institutionnelle OIF
francophonie : c’est à la fois les faits du langage et l’ensemble des locuteurs qui pratiquent le français/l’ensemble des territoires et des personnes qui utilisent le français comme langue maternelle, administrative ou/et culturelle.
La francophonie est née officiellement 20 ans plus tard à Niamey en 1970. Si sa filiation terminologique se réfère explicitement à la France, c’est d’abord une idée africaine proposée/imposée par de grandes figures diplomatiques
Les outils institutionnels
L’année 1997 aura été une année importante pour la francophonie. En effet, au sommet de Hanoï qui réunissait les Etats francophones (il y a déjà eu de nombreux sommets - celui de Kinshasa de 2012 est le 14ème depuis le premier qu’avait initié le Président F. Mitterrand en 1986, à Versailles et qui réunissait 41 Etats), la francophonie est devenue l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.).
L’O.I.F. est une institution fondée sur le partage d’une langue et de valeurs communes : le 20 mars est consacrée journée internationale de la francophonie qui définit les grandes orientations politiques/missions de la francophonie. Promouvoir la langue française et la diversité culturelle ; promouvoir aussi la Paix, la Démocratie et les Droits de l’Homme ; appuyer l’éducation, la formation et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité, contribuer à la prévention des conflits au sein de l’espace francophone. Tous ces engagements fondamentaux sont consignés dans sa Charte adoptée en 1997 à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement (appelée aussi « Sommet ») à Hanoï, et révisée par la Conférence ministérielle d’Antananarivo en 2005. Elle comptait, à l’occasion de son sommet à Québec, fin novembre 2008, et après l’admission d’un nouveau membre associé et 12 observateurs, 70 Etats et gouvernements répartis sur les 5 continents. Depuis ce nombre a encore progressé : fin 2010, l’OIF comptait 70 Etats ou Gouvernements dans son réseau, soit à titre de membres (54), soit à titre d’observateurs (16). L’adhésion à l’OIF repose sur un certain nombre de critères, dont une démarche officielle du gouvernement souhaitant l’adhésion de son Etat. Après le Sommet de 2012 à Kinshasa (RD Congo), l’OIF compte 77 Etats ou Gouvernements, dont 57 membres et 20 associés ou observateurs. Au terme de cette XIVème Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement, une Déclaration a été votée par les participants. Elle contient trois points principaux : il est impérieux de mettre en œuvre une gestion solidaires des enjeux environnementaux et économiques ; il faut promouvoir une gouvernance démocratique et 12/67 soutenir la promotion des Droits de l’Homme et, enfin, elle rappelle que la langue française constitue le socle de la francophonie. Le 15ème Sommet aura lieu à Dakar, au Sénégal, en 2014.
TD2
La francophonie en Algérie
L’Algérie n’a pas formulé une demande officielle d’adhésion à l’organisation mondiale de la francophonie. Elle conserve donc son statut d’observateur, malgré la profonde mutation entreprise par l’OIF, ces dernières années et qui l’ont débarrassée de toute connotation paternaliste. La réticence d’Alger à intégrer l’espace francophone tient pour ces raisons :
-Le rapprochement historique entre les deux pays n’a pas été traduit sur le terrain de l’investissement. Malgré plusieurs visites présidentielles dans les deux sens, l’on n’a pas constaté en emballement de la communauté d’affaires françaises pour la destination de l’Algérie.
-L’ambivalence française entre le pouvoir politique et les milieux économique : ces deux entités ne semblent pas sur la même langueur d’onde quant aux choix stratégiques de la France. Ce constat, vide le rapprochement Algero-français de sa substance et considère de fait l’Algérie sur les dividendes qu’elle devrait tirer par rapport à un engagement qui donnerait à la France plus d’aura sur le plan international. L’Algérie, le plus grand pays francophone après la nation-mère, donnerait à l’OIF un supplément de présence tant sur la scène africaine qu’internationale, un prestige, avantage et un poids.
-L’Algérie a tourné le dos aux appels du pied de Paris à cause de l’héritage du passé colonial : la France possède une image d’appendice qu’elle traine depuis sa création. Elle considère l’OIF comme une suite logique à la colonisation et un nouvel impérialisme linguistique (un moyen d’influence sur les pays qui étaient jadis sous son autorité).
-Elle refuse de s’inscrire dans une logique folklorique qui l’amène à défendre et à développer une culture sans aucune contrepartie.
-Elle voit en la francophonie, un phénomène de déculturation, de perturbation identitaire ou de néo colonisation (des arrières pensées idéologiques).
-Le conflit entre Alger et Paris autour de la reconnaissance de cette dernière, de ses crimes de guerre commis en Algérie.
-L’arabisation et panarabisme : l’Algérie a développé une idéologie arabo-islamique laquelle considère que la diversité linguistique comme un danger pour l’unité nationale et un germe de division et que seul l’unilinguisme peut être garant de cette unité nationale (l’arabisation=un moyen d’affirmer l’identité arabe=un attribut fondamental de la personnalité arabe= les fondements de l’algérianité).
-Elle voit en la francophonie un phénomène de déculturation, de perturbation identitaire ou de néo colonisation.
Les écrivains maghrébins et la langue française
Certains écrivains maghrébins on vécu dramatiquement l’impossibilité de s’exprimer autrement que dans la langue du colonisateur. Ils ont utilisé le français pour revendiquer en faveur de leur langue maternelle. Ils ont adopté le français aux besoins de leur expression.
Le drame du langage : des que les premiers écrivains maghrébins entre 1945 et 1956 ont pris la parole dans la langue du colonisateur, ils ont marqué qu’ile se sentaient frustrés de leur langue maternelle. Y avait-il de quoi faire un drame du moment qu’ils avaient passés maître dans le remaniement d’un autre instrument d’expression. Albert Memmi dans le portrait du colonisé explique pourquoi le bilinguise au pays colonial risque de perturber l’équilibre psychoaffectif d’un homme : « mais le bilinguisme colonial ne peut être assimilé à n’importe quel dualisme linguistique. La possession de deux langues n’est pas seulement celle des deux outils, c’est la participation à deux royaumes psychiques et culturels. Or, ici les deux univers symbolisés, portés par les deux langues sont en conflit : ce sont du colonisateur et du colonisé. En outre, la langue maternelles du colonisé, celle qui est nourrie de ses sensations, de ses passions et de ses rêves, celle dans laquelle se libèrent sa tendresse et ses étonnements, celle enfin qui recèle la plus grande charge affective, celle là précisément est la moins valorisée[…]Dans le conflit linguistique, qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l’humiliée et l’écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finira par le faire sien. De lui même il commence à écarté cette langue infime, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraitre à l’aise que dans la langue du colonisateur. En bref, le bilinguisme colonial n’est ni une diglossie où coexistent un idiome populaire et une langue puriste, appartenant tous les deux au même univers affectif, ni une simple richesse polyglotte, qui bénéficierait d’un clavier supplémentaire mais relativement neutre ; c’est un drame linguistique ». Si l’on prend les œuvres une à une, on constate que toutes accusent la conscience d’un état anormal, d’un malaise. Nul mieux que jean Amrouche, le précurseur, un des hommes qui aux dires les plus difficiles, a manié une des langues les plus riches, les plus pures parmi tous les français de sa génération n’a rendu compte de scandale : il use admirablement d’une langue qu’il a reçue de sa mère en même temps que la kabyle, il se sent un batard. Malek Haddad affirme : « je suis en exil dans la langue française », cela signifie précisément qu’il est incapable de raconter en arabe ce qu’il sent en arabe. Pour Mohamed kheirraddine le français est une guérilla linguistique. Il revendique le plus fortement la langue française : « écrire en français est un choix libéré » et il vit le français comme outil de jouissance personnelle. Cependant même lorsque cette situation est acceptée et vécue par l’écrivain, elle ne va pas sans blessure, sans cicatrices. Il n’y a pas de bilinguisme facile surtout lorsque les deux langues rivales ne sont pas sur le même pied d’égalité. Salah Garmadi ; le linguiste tunisien n’hésitait pas dans les années 70 à parler de la « mutilation de l’être colonisé par le langage. » Cette situation devient tragi-comique .Mohamed Dib donne au français une intensité amoureuse rare. Il est le produit d’une formation française et d’une culture maghrébine. Assia djabar dans l’amour la fantasia évoque le drame du dédoublement linguistique. Le français « langue marâtre » lui apparait comme un conquérant à la domination puissante, mais illégitime, contre laquelle se dresse, dans une révolte sans fin, l’énergie de la langue mère. Elle éprouve à l’égard de la langue française une révolte née d’oppression et d’aliénation.
La fin du second roman de Kateb Yacine de nature nettement autobiographique souligne de façon émouvante « l’exil intérieur » que représente la rupture avec la langue maternelle. L’aliénation n’est pas ici une abstraction philosophique, mais une réalité physique, vécue douloureusement comme une « seconde rupture du lien ombilical ». La perte de la langue mère qui est aussi celle de la mère arrache l’écrivain à ses origines dans un déchirement charnel ineffaçable. Sa lutte contre le langage dans « la gueule du loup », Kateb l’affirme comme une richesse : « la situation de l’écrivain algérien d’expression française entre deux lignes de feu l’oblige à inventer, à improviser et à innover.» Il invite à aller résolument à la rencontre des langages littéraires les plus avancés. Il estime que « la francophonie est une machine politique coloniale, qui ne fait que perpétuer notre aliénation, mais l’usage de la langue française ne signifie pas qu’on soit l’agent d’une puissance étrangère et j’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas Français. »
- Enseignant: bettayeb rachid